"Bonjour ! Il y a quelqu'un ?"
Pat découvre un hall d'accueil désert. Les couleurs pastel sont brûlées par un rayon de soleil matinal, qui fait apparaître des fins tourbillons de poussière. Deux musiques se superposent, une assez lointaine, une qui émane d'un transistor posé sur un meuble.
Pat fait quelques pas et perçoit des éclats de voix, derrière les portes vitrées, trop opaques pour qu'on y voit rien.
Soudain la secrétaire entre en trombe, toute nue. Elle embrasse Pat sur la joue, et avant que cette dernière ait rien compris, elle a disparu par une autre porte.
Cette jeune fille délurée d'une vingtaine d'années, effectue des allées et venues louffoques et insensées à intervalles irréguliers.
Pat attend. Elle est toujours seule dans le hall et ses nerfs commencent à se tendre. Des gouttes de sueur glissent le long de sa nuque.
Après un temps démesuré, elle bouillonne. Alors qu'elle aperçoit la secrétaire, qui s'est rhabillée depuis sa première apparition, elle attrape son bras, le sert fort et lui adresse un regard intensément menaçant.
"Ecoutez-moi. Donnez-moi un entretien. Maintenant."
La jeune fille souffle sur une mèche de cheveux qui lui tombe sur le visage avec un air indifférent, ses épaules s'affaissent, et, en traînant des pieds, subissant toujours sur son bras la pression des droits de Pat, elle se dirige vers une des portes et l'ouvre.
Les deux femmes entrent dans une pièce éclairée par une grande fenêtre. Quelques tables sont occupées par des duos de personnes s'affrontant paisiblement ou hargneusement sur des cas délicats.
La jeune secrétaire s'affaisse sur une chaise et tend le bras pour inviter Pat à s'asseoir. Pat commence à expliquer sa situation. C'est complexe, elle essaie d'être claire et de bien se souvenir de tout. La secrétaire a le menton appuyé sur sa main, les yeux mi-clos. Petit à petit sa main glisse vers le haut du crâne et sa tête tombe sur son bras. Elle fait des gribouillis sur un papier et ses yeux restent dans le vague.
Pat n'arrive pas à s'exprimer parce qu'un vacarme tonitruant, dans la pièce voisine, recouvre tout l'espace sonore. Aux autres tables, aussi, on a du mal à s'entendre et on est obligés de se répéter, de lire sur les lèvres, de deviner, de feindre qu'on a compris.
Un nouvel accès de fureur envahit Pat. Se levant brusquement, elle retourne dans le hall et ouvre la porte mitoyenne.
Pat reste une fraction de seconde ébahie. C'est là que sont tous les employés. C'est la salle de repos, bondée, les canapés pleins à craquer, les effluves de café qui vous montent à la tête, avec le tapage confus des conversations passionnées. Pat hurle et les effraie tous. Quand elle ressort, les conversations reprennent, mais un peu plus bas.
Pat retourne s'asseoir en face de la jeune secrétaire.
"Alors voilà, au total, j'ai payé 26,4 euros par mois pendant neuf mois."
Une lueur de bonheur s'allume dans les yeux de cette femme qui s'ennuie tant. Elle se met à poser la multiplication sur son papier. Elle rature, recommence, gomme, dresse des colonnes de chiffres. Pat, patiemment, attend de voir si le résultat sera le même que celui que lui donne la calculatrice de son téléphone. Tiens, non, ce n'est pas tout à fait le même. Bah.
"Et maintenant, j'en arrive au deuxième point, vous savez, je vous avais dis au début que j'avais deux problèmes à aborder."
Pat essaie de rendre son ton vif et coloré, avenant et amusant, elle fait beaucoup d'efforts pour que la secrétaire ne s'endorme pas. Mais elle voit ses paupières s'alourdir et la paresse semble soudainement s'abattre sur elle.
"Je crois que je vais vous déléguer," dit-elle d'une voix éteinte.
Pat hésite un instant à supplier : "Mais enfin, mademoiselle, courage, il n'y a que trente minutes que nous parlons, et c'est presque terminé !"
Mais, désespérée, elle sait qu'il n'y a plus rien à tirer de ce corps élastique ni de cet esprit inerte.
Un cri de détresse intérieur s'élève jusqu'aux nuages.
Au réveil, elle pense à ce coup de fil administratif à passer aujourd'hui.